« Le Livre des Merveilles »
de Marco Polo
Marco Polo, sacré coquin !
Le « Livre des merveilles » : un témoignage extraordinaire vécu par un italien, écrit par un français, démystifié par une anglaise.
Un récit fabuleux n’a cessé, du Moyen Age jusqu’à nos jours, de hanter les mémoires et d’exciter les imaginations, je veux parler du « Livre des merveilles » de Marco Polo.
Le père et l’oncle de Marco Polo avaient effectué un voyage jusqu’en Chine dans les années 1260, séjourné à Pékin, et été reçus par l’empereur qui, tolérant sur la religion, leur avait demandé de retourner en Europe chercher des missionnaires. Mais à leur retour, comme le pape ne s’inquiétait plus de la menace tartare et qu’il tardait à missionner les Polo de nouveau, ceux-ci décidèrent de retourner, en 1271, auprès de Kubilaï, sans la centaine de missionnaires demandés mais avec le jeune Marco et deux moines craintifs qui firent demi-tour dès la Palestine.
Au bout de trois ans de voyage, ils arrivent à la cour du Grand khan au service duquel ils resteront seize ans, Marco Polo remplissant diverses missions et ambassades après avoir appris le mongol. Après dix-sept ans de voyage, les Polo souhaitèrent regagner leur pays. En 1291, l’occasion se présenta de conduire une princesse chinoise auprès du souverain mongol de Perse. Ils n’arrivèrent à Venise qu’en 1295, Marco étant âgé de quarante et un ans.
Trois ans plus tard, à l’occasion d’un nouveau conflit entre Venise et Gênes, Marco Polo fut fait prisonnier. C’est là qu’il dicta ses souvenirs à Rusticello de Pise, écrivain de cour s’exprimant en ancien français, sous le double titre de « Devisement du monde » ou « Livre des merveilles ».
Cette double appellation rend d’ailleurs bien compte de l’aspect ambivalent de ces récits dont la description s’attache à donner une représentation du monde minéral, animal et végétal, ainsi que de la géographie humaine, et dont le titre « merveilles » renvoie à l’étonnement devant une réalité qui dépasse l’imagination.
Car l’histoire est merveilleuse, mais elle serait fausse !
La famille Polo, père, oncle et neveu, n’aurait jamais foulé le sol chinois, encore moins recueilli les confidences de la cour.
Commerçant pour la République de Venise, ils ont probablement fréquenté les comptoirs installés au bord de la mer Noire, fait un saut sur les rives de la Caspienne. Ecoutant, notant, mesurant, en bons marchands, ce qui pourrait profiter à leur commerce.
Géniale imposture, manigancée par les amis du Vénitien et les innombrables copistes qui, chacun à son tour, ont ajouté un chapitre à la légende. C’est ce que découvre Frances Wood, écrivain et sinologue de talent, en 1995, après avoir étudié les travaux de spécialistes allemands de la Mongolie médiévale. Selon elle, le Vénitien ne connaît que le nom persan des villes chinoises qu’il décrit. Pour en avoir le cœur net, l’anglaise iconoclaste se plonge dans les archives, à Londres, à Paris, au Vatican, et étudie le manuscrit de Tolède, dernière version découverte du fameux Livre des merveilles du monde.
Hélas! On a perdu le manuscrit original. Il ne reste, des milliers de copies qui ont circulé pendant trois siècles, qu’une centaine de moutures, au fond des bibliothèques.
Suffisamment pour permettre à Frances Wood de dresser la liste des erreurs et des omissions du célèbre voyageur. Il n’a vu ni la Grande Muraille ni les minuscules pieds bandés des femmes chinoises. Marco Polo ne semble pas avoir goûté au thé de Chine; il n’évoque pas les extraordinaires caractères de la calligraphie chinoise. Et pas un mot sur ces inévitables baguettes que les dîneurs asiatiques manient avec dextérité depuis des millénaires!
Pour moi, tout cela n’est pas si grave, Marco nous a fait rêver pendant 7 siècles, peut-être en ajoutant un excès de fantastique à son récit. Si le « Livre des merveilles » fut, comme on le dit aussi, l’ouvrage qu’emporta avec lui Christophe Colomb lorsqu’il s’embarqua pour son grand périple, alors caressez légèrement du bout des doigts la tranche dorée des pages parcheminées, respirez le cuir de la reliure et vous aussi, laissez-vous porter par la soif de l’aventure et la passion des découvertes. L’innocence de croire à l’incroyable fera le reste.